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Covid-19 : L'impact des Fab Labs

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L’humanité n’en est pas à sa première pandémie, mais on a parfois tendance à oublier ces moments tragiques de l’Histoire. Par exemple, la grippe espagnole de 1918 a fait entre 17 et 50 millions de morts [1], soit entre 3 et 5 % de la population mondiale de l’époque [2]; c’est l’une des pandémies les plus dévastatrices de tous les temps[3].

Ces chiffres donnent le vertige, mais comme le souligne l’historienne Magda Fahrni, il faut garder en tête qu’à l’époque « on comprenait mal la nature de la maladie et [qu’]on n’était même pas certain, au début, qu’il s’agissait d’un virus. De plus, le système de santé était confronté à une pénurie de médecins et d’infirmières, car plusieurs d’entre eux étaient mobilisés par l’effort de guerre »[4].

De nos jours, la compréhension des phénomènes épidémiologiques est beaucoup plus développée et entraîne des réponses plus adéquates aux problèmes qui surviennent. Cependant, il est fascinant de noter que certaines stratégies mises de l’avant il y a un siècle pour juguler le virus ressemblent à celles qui sont appliquées aujourd’hui – en particulier les recommandations relatives au confinement à domicile, à la distanciation physique et au port du masque[5].

Une différence importante existe toutefois entre la pandémie de 1918 et celle qui sévit présentement. Il s’agit de l’arrivée d’un nouveau joueur dont le rôle s’avère primordial dans l’arsenal de mesures disponibles : le réseau des ateliers de fabrication collaboratifs (de type Fab Lab).

Ceux qui fréquentent les espaces maker étaient déjà bien conscients de la capacité des Fab Labs à produire des articles ou des pièces relativement complexes. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ce qui étonne est la rapidité avec laquelle le réseau s’est organisé et a apporté son soutien à des particuliers, à des organismes communautaires et, surtout, au milieu de la santé. Cette réponse aurait été inimaginable il y a 20 ans à peine.

Le mouvement maker, plus précisément celui des laboratoires de fabrication collaborative de type Fab Lab, est orienté vers la culture du « faire ensemble » (en anglais : DIT ou Do It Together). Les participants peuvent ainsi y dépasser leur propre champ de prédilection et entrer en contact avec des spécialistes ou des passionnés d’une grande variété de domaines. Comme le souligne Kevin Lhoste, responsable du Makerlab au Centre de recherches interdisciplinaires de l’Université de Paris, « [le] but des Fab Labs est de concevoir des solutions à des problèmes locaux et de permettre l’essaimage de ces solutions à l’échelle mondiale grâce à une logique d’ouverture passant par la documentation et le partage »[6].

La démocratisation de cette capacité de fabriquer, mais également de créer, introduit donc une nouvelle roue dans un engrenage social qui permet une réaction décentralisée, mais collective, au phénomène de la pandémie; rappelons que la mission première des Fab Labs étant, en effet, de ramener la fabrication au niveau local et de favoriser l’échange des procédés de fabrication. Alors qu’auparavant l’accès aux articles médicaux passait nécessairement par la production industrielle, on assiste soudainement au déplacement d’une portion de cette production, si minime soit-elle, vers des ateliers locaux, voire des domiciles privés. C’est en quelque sorte un virage de l’usine vers la cuisine!

Durant les premiers mois de la pandémie, la quantité insuffisante de certaines pièces d’équipement médical (en particulier des masques, des visières et des respirateurs) a souvent fait la manchette. Des appels véhéments ont été lancés pour en localiser rapidement de grandes quantités, dans un contexte où les stocks étaient limités et où les échanges commerciaux transfrontaliers étaient parfois moins efficaces qu’en temps normal.

La réponse habituelle aurait été de se tourner uniquement vers le secteur industriel. Mais au cours des deux dernières décennies, les ateliers de fabrication collaboratifs ont connu une multiplication extrêmement importante à travers le monde : selon un recensement réalisé en 2017, « tous les continents, sauf l’Antarctique, disposent d’un Fab Lab »[7]. Ce foisonnement ainsi que celui d’autres lieux de création ont apporté un élément de solution qui semble être une première dans l’Histoire : la capacité de créer de l’équipement, d’ajuster rapidement des designs à des besoins particuliers, ou même d’adapter des éléments déjà existants à de nouvelles fonctions[8] puis de les fabriquer sur place.

Carte des Fab Labs à travers le monde[9]

C’est en effet le propre des ateliers de type Fab Lab que de trouver des solutions créatives à un problème en s’ajustant rapidement et en tenant compte des ressources disponibles, lesquelles sont parfois limitées[10]. Par exemple, celui de l’Université de Montpellier a participé à l’adaptation de masques de plongée en ventilateurs[11]. par le prototypage d’une pièce permettant de relier le masque au système de ventilation. Une fois l’embout conçu et testé, il a suffi de l’imprimer en 3D pour le coupler au respirateur.

Les Fab Labs ont également l’avantage de se situer au cœur d’un réseau où se partagent les idées et les designs, et où la collaboration est une condition incontournable. À titre d’exemple, le Réseau Français des FabLabs s’est rapidement mobilisé en combinant les forces de tous ses acteurs. En date du 8 avril 2020, on parlait de :

  • « 5 000 bénévoles mobilisés et 100 Fab Labs en action,
  • 50 prototypes (masque, visière, respirateur, pousse-seringue...),
  • Des outils collaboratifs de communication (Discord, Facebook, YouTube...),
  • 10 000 masques de protection en tissu,
  • 100 000 visières antiprojections [12].».

Les divers participants du mouvement maker – du simple passionné s’affairant à son domicile jusqu’aux institutions bien établies – ont ainsi pu s’organiser et collaborer pour apporter une aide précieuse à des échelles variables, allant du local jusqu’au niveau national.


Au Québec, plusieurs plateformes se sont rapidement mises en place, dont Santé libre[13], afin de « soutenir et coordonner la chaîne d’approvisionnement en matériel du système de santé » de la province. L’initiative visait différents intervenants, dont les « entreprises manufacturières traditionnelles et innovantes » et, évidemment, le mouvement des ateliers de type Fab Lab.

En France, la plateforme Covid-Initiatives a été lancée dès le 31 mars, aidant ainsi « les makers à trouver les bons designs [et à] identifier les productions et ressources accessibles, permett[ant] aux nouveaux makers de trouver des réponses et [de] se mettre en relation avec des initiatives proches pour augmenter leur efficacité[14] ».

L’intérêt des expertises et des équipements présents dans ces lieux de création est évident, à tel point que Santé Canada a rapidement publié un communiqué portant sur l’« impression 3D et autres fabrications d’équipement de protection individuelle en réponse à la COVID-19[15] » où se détaillaient les normes à suivre afin de pouvoir se lancer dans l’impression de visières et d’autres pièces d’équipement de protection. En effet, on ne s’improvise pas fabricant de matériel médical; on pourrait craindre, avec raison, que le produit final entraîne des risques sanitaires. C’est la raison pour laquelle des règles et des indications strictes sont émises et documentées tant par les instances gouvernementales que par les réseaux de Fab Labs eux-mêmes.

Comme le rappelle Kevin Lhoste, « au début de la crise, il y a eu beaucoup de temps perdu car chaque Fab Lab développait son modèle de visière et sollicitait des retours [du personnel médical]. Désormais, des organismes de santé publique aux États-Unis et l’APHP en France proposent des banques de fichiers imprimables en 3D et [approuvés] d’un point de vue sanitaire[16] ». 

Visière de protection échoFab et ETS

Rapidement ont commencé à fuser les demandes de fabrication de visières, de valves permettant d’adapter des masques de plongée à des systèmes de respirateurs, de boîtes en plexiglas pour confiner les aérosols générés par les patients lors de l’intubation; de même que les demandes de professionnels de la santé qui souhaitaient obtenir de l’équipement de protection particulier. C’est ainsi qu’échoFab et l’École de technologie supérieure (ETS) se sont lancés dans l’impression 3D des montures d’une visière dont le design a été retenu par le Centre hospitalier universitaire de Montréal[17].

Les contributions peuvent également être plus modestes et provenir d’individus qui possèdent déjà certains équipements de production à la maison (les appareils les plus connus étant les imprimantes 3D, les découpes laser et les fraiseuses numériques). Par exemple, le jeune Baptiste, âgé de 12 ans, a utilisé son imprimante 3D pour confectionner des visières[18]. homologuées par le laboratoire de création MOD&LAB de Draguignan, en France. De la même façon, Justin Capalbo, un professeur du Manhattanville College, dans l’État de New York, a confectionné 50 visières pour le Columbia University Medical Center ainsi que de plus petites quantités pour des organisations plus modestes, dont un cabinet de cardiologues et une école pour enfants ayant des besoins spéciaux[19].

En « France et en Italie, des initiatives d’entreprises qui se sont mobilisées pour imprimer en 3D du matériel ont été couronnées de succès. Certaines de ces initiatives jouent un rôle essentiel dans la lutte au coronavirus[20] ».

Il faut par ailleurs souligner un net avantage lié à la pratique du code source libre inhérente au milieu des Fab Labs : cette pratique permet de maintenir la pérennité de la fabrication d’un article puisque les documents qui y sont liés ne sont pas soumis au secret industriel, mais partagés avec tous. Ce partage en innovation ouverte offre ainsi à n’importe qui « la possibilité de reconfigurer le matériel en cas de changement du type de besoin[21] ».

Bref, cette action massive, organisée et décentralisée relève du jamais vu : le partage de designs et d’expertises a mis entre les mains des citoyens un certain pouvoir jusqu’alors concentré au sein d’industries spécialisées. Ces initiatives mises à exécution dans des lieux hétéroclites se rassemblent toutes autour d’une même bannière : le mouvement des ateliers de type Fab Lab.

Notes

  1. Rosenwald, M.S. (7 avril 2020). « History’s deadliest pandemics, from ancient Rome to modern America ». The Washington Post. https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/local/retropolis/coronavirus-deadliest-pandemics/ (consulté le 22 juillet 2020).
  2. Jilani, T.N., R.T. Jamil et A.H. Siddiqui (14 décembre 2019). « H1N1 Influenza (Swine Flu) ». StatPearls. Treasure Island (FL) : StatPearls. PMID : 30020613. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK513241/ (consulté le 22 juillet 2020).
  3. « Les dix choses qu’il faut savoir sur la grippe pandémique (mise à jour du 14 octobre 2005) ». Relevé épidémiologique hebdomadaire, 80 (49-50), p. 428-431, décembre 2005. PMID : 16372665. https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/232955/WER8049_50_428-431 (consulté le 22 juillet 2020).
  4. Gauvreau, Claude (7 avril 2020). « De la grippe espagnole à la COVID-19 ». Actualités UQAM. https://www.actualites.uqam.ca/2020/grippe-espagnole-covid-19 (consulté le 10 avril 2020).
  5. Bolduc, Michel (5 avril 2020). « Ce qui a changé et ce qui n’a pas changé depuis la grippe espagnole ». Ici Radio-Canada Toronto. [. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1690507/coronavirus-grippe-espagnole-toronto-montreal . https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1690507/coronavirus-grippe-espagnole-toronto-montreal ] (consulté le 10 avril 2020).
  6. Lhoste, Kevin (27 avril 2020). « Les fab labs apportent des solutions concrètes et locales à la crise du Covid-19 ». The Conversation. https://theconversation.com/les-fab-labs-apportent-des-solutions-concretes-et-locales-a-la-crise-du-covid-19-136277 (consulté le 20 juillet 2020).
  7. Willett, R. Making (2016). « Makers, and makerspaces: A discourse analysis of professional journal articles and blog posts about makerspaces in public libraries ». Library Quarterly, 86(3), p. 313-314. https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/686676?af=R& (consulté le 23 juillet 2020).
  8. Massachusetts Institute of Technology (2 avril 2020). « MIT initiates mass manufacture of disposable face shields for Covid-19 response ». EurekAlert. https://eurekalert.org/pub_releases/2020-04/miot-mim040220.php (consulté le 10 avril 2020); D., M.-G. (2 avril 2020). « Le FabLab carolo a déjà produit 14.000 visières de protection qui ont été distribuées gratuitement ». Charleroi Actu https://www.sudinfo.be/id177516/article/2020-04-02/le-fablab-carolo-deja-produit-14000-visieres-de-protection-qui-ont-ete (consulté le 10 avril 2020); RT France (4 avril 2020). « Coronavirus : en France, des volontaires impriment des équipements en 3D pour pallier les pénuries ». RT France. https://francais.rt.com/france/73623-coronavirus-volontaires-impriment-equipements-3d-pallier-penuries (consulté le 10 avril 2020); Brockmeier, Erica K. (10 avril 2020). « Rapid response to COVID-19 puts the power of innovation to the test ». Penn Today. https://penntoday.upenn.edu/news/rapid-response-covid-19-puts-power-innovation-test (consulté le 11 avril 2020); Poireau, Juliette (16 avril 2020). « Covid-19 Rive-Sud : fabrication de matériel sanitaire à la CSVM ». TVRS.. http://www.tvrs.ca/blog/covid-19-rive-sud--fabrication-de-materiel-sanitaire-a-la-csvm (consulté le 17 avril 2020); Blais, Stéphane (24 mars 2020). « Les imprimantes 3D du Québec en renfort pour combattre le coronavirus ». Le Soleil. https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/les-imprimantes-3d-du-quebec-en-renfort-pour-combattre-le-coronavirus-25e4d8881c997ddc83b1d5303a8a8361 (consulté le 11 juillet 2020); Lenoble, Catherine (11 juillet 2020). « Covid-19 : un effort d’agilité, de dialogue et de faire ensemble, la réponse des makers en Occitanie ». Makery, le média de tous les labs. . https://www.makery.info/2020/07/11/covid-19-un-effort-dagilite-de-dialogue-et-de-faire-ensemble-la-reponse-des-makers-en-occitanie/ (consulté le 23 juillet 2020); Commission européenne (26 juin 2020). « Smart Story: Adaptation of regional innovation ecosystems to the covid-19 health emergency situation: The case of Castilla y León ». Smart specialisation platform. https://s3platform.jrc.ec.europa.eu/-/smart-story-adaptation-of-regional-innovation-ecosystems-to-the-covid-19-health-emergency-situation-the-case-of-castilla-y-leon?inheritRedirect=true (consulté le 23 juillet 2020);
  9. Fabwiki.http://wiki.fablab.is/wiki/Portal:Labs (consulté le 27 juillet 2019).
  10. McDonald, Lisa, Jill Stockton, Jane Tors et Mike Wolterbeek (8 avril 2020). « University makerspaces and 3D printers at work developing PPE ». Nevada Today. https://www.unr.edu/nevada-today/news/2020/makerspaces-create-ppe (consulté le 10 avril 2020).
  11. M Dubault, Fabrice (6 avril 2020). « Coronavirus Montpellier : un fab lab adapte des masques de plongée pour ventiler les patients Covid-19 ». France Info. https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/coronavirus-montpellier-fab-lab-adapte-masques-plongee-ventiler-patients-covid-19-1812372.html (consulté le 10 avril 2020).
  12. Hugobiwan (8 avril 2020). Communiqué de presse du Réseau Français des Fablabs du 08 avril 2020. Réseau Français des FabLabs.http://www.fablab.fr/actualites/article/communique-de-presse-du-reseau-francais-des-fablabs-du-08-avril-2020 (consulté le 10 avril 2020).
  13. « Ensemble pour répondre aux besoins matériels du système de santé ». SantéLibre. https://santelibre.ca/en_CA/ (consulté le 10 avril 2020).
  14. Hugobiwan (31 mars 2020). « Covid-initiatives est lancé ». Réseau Français des FabLabs. http://www.fablab.fr/actualites/article/covid-initiatives-est-lance (consulté le 10 avril 2020).
  15. « Impression 3D et autres fabrications d’équipement de protection individuelle en réponse à la COVID-19 » (3 avril 2020). Santé Canada. https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/medicaments-produits-sante/instruments-medicaux/covid-19-fabrications-non-conventionelles-equipement-protection-individuelle.html (consulté le 10 avril 2020).
  16. Lhoste, Kevin. Op. cit.
  17. « Visière de protection échofab ». Communautique. https://www.communautique.quebec/visiere-de-protection-echofab/ (consulté le 10 avril 2020).
  18. Espejo, E. (8 avril 2020). « Ce labo de fabrication numérique mise sur la 3D pour faire écran au Covid-19 ». Var-matin. https://www.varmatin.com/sante/ce-labo-de-fabrication-numerique-mise-sur-la-3d-pour-faire-ecran-au-covid-19-493264 (consulté le 10 avril 2020).
  19. Taliaferro, Lanning et l’équipe de Patch (8 avril 2020). « Coronavirus: College Professor Makes Face Shields In ‘Fab lab’ ». Patch. https://patch.com/new-york/harrison/coronavirus-college-professor-makes-face-shields-fab-lab (consulté le 10 avril 2020).
  20. Blais, Stéphane (24 mars 2020). « Sauver des vies grâce aux imprimantes 3D ». La Presse. https://www.lapresse.ca/covid-19/202003/24/01-5266292-sauver-des-vies-grace-aux-imprimantes-3d.php (consulté le 10 avril 2020).
  21. Lhoste, Kevin. Op. cit.

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